vendredi 25 avril 2008

Kabila droit dans les yeux !


EXCLUSIF, précis, carré, sans concession, Joseph Kabila, le président congolais, remet les pendules à l'heure avec la Belgique après la visite ministérielle conduite par Karel De Gucht à Kinshasa. « Il est inacceptable de venir à Kinshasa pour donner des leçons », se fâche-t-il. Entretien exclusif au « Soir ». -
Barbe poivre et sel, cheveux drus, regard brillant, le président Joseph Kabila s'est donné un look de maquisard, de « freedom fighter », illustrant peut-être les combats qui se mènent en ce moment avec pour enjeu la souveraineté et le décollage économique du Congo.

Ces dernières semaines, depuis qu'il exerce la présidence de la Communauté des Etats d'Afrique centrale, il a multiplié les voyages : Zambie, Afrique du Sud, Inde, une réunion à New York au Conseil de Sécurité dont il était rentré un jour plus tôt que prévu pour recevoir lundi la délégation belge, composée du ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht, des ministres de la Défense Pieter De Crem et de la Coopération Charles Michel.

Un agenda chahuté, les Belges ayant pris comme une offense le fait que le rendez-vous qu'eux-mêmes avaient suggéré pour lundi matin soit déplacé en fin d'après-midi… Au cours des deux rencontres avec le trio belge, mené par Karel De Gucht, les échanges furent parfois rudes, à la limite de l'incident.

« Le partenariat belgo-congolais est vraiment très fort, il devrait survivre à ces tensions », devait conclure Pieter De Crem avant de repartir pour la Belgique alors que ses deux collègues s'envolaient pour l'est du pays.

Au lendemain de son dernier entretien, mené durant une heure quarante avec la délégation belge, le président Kabila a accepté de répondre aux questions du Soir.

Entretien
C. Braeckman : Au-delà des péripéties liées à l'agenda proprement dit, quel bilan tirez-vous de la visite de la délégation belge ?

J. Kabila : Il me semble que la mission n'était pas très bien organisée, parce qu'au départ il n'était question que de la visite du ministre de la Défense, invité par son homologue Chikez pour faire le point sur le partenariat militaire que nous apprécions beaucoup et entendons bien continuer. Les ministres De Gucht et Charles Michel ont décidé ensuite de venir ensemble. J'ai donc reçu la délégation dirigée par le ministre De Gucht qui m'a délivré un message au nom du gouvernement belge. Mais quel message ! Un message que je n'ai pas du tout apprécié et je le lui ai dit. Pour moi, l'essentiel, c'est que la Belgique doit se décider à propos du type de relations qu'elle souhaite entretenir avec la République démocratique du Congo. Soit de bonnes, de très bonnes relations de partenariat adulte avec un Etat souverain et indépendant, soit des relations de maître à esclave. Le gouvernement belge doit lever l'option sur ce point et construire une relation sur la base de son choix.

C. B : Estimez-vous qu'au cours de cet entretien avec vous, c'est le Congo qui aurait été traité injustement ?

J. Kabila : Il ne s'agit pas de moi, de ma personne. Mais je constate que chaque fois qu'une mission est dirigée par le ministre des Affaires étrangères, c'est avec beaucoup d'arrogance, comme si nos visiteurs venaient ici pour nous donner des leçons. C'est inacceptable. Le Congo n'acceptera jamais cela, et surtout pas moi. Un autre peut-être, mais pas moi. Dans ce pays, on a versé le sang, et pour notre indépendance, et pour notre libération. Je n'accepterai jamais de leçons de la part de qui que ce soit, qu'il s'agisse du ministre des Affaires étrangères belge ou chinois, peu importe. La Belgique doit décider du type de relations qu'elle souhaite entretenir avec le Congo.

C. B : Il est vrai cependant que la Belgique entretient une relation de longue durée avec le Congo ?

J. Kabila : Oui, mais la Belgique est d'abord un partenaire. Moi, j'espère bien que la Belgique sera toujours un pays ami, un pays frère, avec lequel je n'ai personnellement aucun problème. Mais une année et demie après les élections, on ne peut pas traiter avec la République démocratique du Congo comme si on était dans les années 90, qui ont été marquées par la conférence nationale souveraine, la transition, les guerres, etc. Il faut savoir que le Congo a complètement changé, et c'est cela le point de départ : il y a ici un pouvoir légitime. Même avant, je ne pouvais pas accepter que les gens puissent traiter avec notre pays comme s'il était encore une colonie…

C. B : Votre réaction aux entretiens avec la délégation belge porte-t-elle sur la forme ou sur le contenu de ce qui a été dit ?

J. Kabila : Il y avait un problème sur la forme aussi, mais c'est surtout le contenu qui posait problème. Après notre réunion d'hier, j'espérais bien que, sur cette base, nous pourrions tourner la page. Les points de friction portaient entre autres sur le poste de rapporteur pour les droits de l'homme. Nous avons demandé que ce poste ne soit pas reconduit. L'Etat congolais n'est-il pas souverain ? Nous prenons nos décisions en fonction de nos intérêts, de la politique de notre pays et surtout de son développement. Un rapporteur spécial ici ? Mais pourquoi chez nous et pas dans d'autres pays d'Afrique ? La situation est-elle tellement grave ici qu'il faut que quelqu'un soit toujours là à observer, à surveiller ? J'ai suivi les positions des ONG belges et autres, mais je répète que c'est inacceptable.

Ce que je refuse, c'est qu'une sorte de tutelle continue à s'exercer sur nous. Je ne récuse pas le droit de regard, car ici on applique la transparence. Qu'il s'agisse des droits de l'homme, de la gouvernance, tout le monde peut regarder ce qu'il veut. Je me considère comme le premier défenseur des droits de l'homme. Mais une tutelle, non, c'est inacceptable.

C. B : L'incident avec la Belgique est-il clos ?

J. Kabila : Il n'y a pas d'incident, car je n'ai pas voulu qu'il y en ait, il n'y a eu que le début d'un incident, quelque chose comme une provocation… Je sais seulement qu'en Angola, en Afrique du Sud, en Tanzanie, au Soudan et ailleurs, si la délégation belge portait un message comme elle l'a fait ici, elle aurait été chassée. C'est la dernière fois que j'ai accepté de recevoir une délégation porteuse d'un tel message. La prochaine fois, il y aura certainement un incident…

Les contrats avec la Chine : « Les Belges ont tort d’avoir peur »

C B : Avez-vous abordé avec les Belges la question des contrats conclus avec la Chine ?

J. Kabila : Certainement, et ce point avait déjà été soulevé par d’autres pays. Tous nous ont compris, sauf la Belgique, alors que nous expliquions qu’il s’agissait avant tout d’un contrat commercial, très important pour nous. Le Congo a besoin de se développer, le plus vite possible. Afrique du Sud, Angola, Congo-Brazzaville et tant d’autres ont déjà conclu des contrats avec les Chinois et ces pays commencent à se développer à une vitesse incroyable.

Je ne vois pas pourquoi on empêcherait la RDC de décider des initiatives pour prendre à son tour son envol. On a besoin aussi d’hôpitaux, de l’accès aux soins pour tous, des écoles, il faut créer des emplois. L’option chinoise a été prise, et on assume, c’est tout à fait irréversible. Je sais qu’au niveau des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et Fonds monétaire international, NDLR), il y a débat, mais la porte demeure ouverte, nous continuons à dialoguer avec eux.

Les Belges ont tort d’avoir peur. Nous devons construire plus de 150.000 km de routes, avec en priorité 15.000 km de routes asphaltées en une quinzaine d’années ! Les Chinois en construiront 3.000 : il y a encore de la place pour tout le monde, la reconstruction de ce pays ne se fera pas qu’avec les Chinois… Elle se fera avec tout le monde, avec nos partenaires de bonne foi, et avant tout avec nous-mêmes…

Vous savez, tout le monde parle des contrats avec la Chine, mais qui évoque par exemple le cas de Tenke Fungurume, le plus grand gisement de cuivre du monde : c’est la société américaine Freeport Mac Rohan qui a conclu un contrat où la Gecamines reçoit 12 % et l’Etat congolais 5 %. C’est choquant, ce contrat va être revisité mais personne ne parle de cela.

C. B : Ce recours aux Chinois n’est-il pas le résultat d’une déception par rapport à l’aide occidentale ?

J. Kabila : Avant les élections déjà, j’avais fait des promesses à la population, sur la base d’engagements pris entre autres par la Banque mondiale. Par exemple, alors que j’étais de passage à Kikwit en 2002, j’avais promis à la population qu’elle aurait une route la reliant à Kinshasa, sur base d’une promesse faite par M. Prodi, au nom de l’Union européenne. Jusqu’à ce jour, on n’a rien vu, et il y a beaucoup d’exemples comme celui-là. Je crois donc qu’avec nos partenaires, il faut commencer à se dire quelques vérités et pas seulement d’un seul côté. Ma vérité à moi, c’est qu’ils n’ont pas été assez rapides. Chez moi à Ankoro, on dit ceci : « Deux promesses non tenues, c’est déjà un mensonge… » On m’a fait tellement de promesses jamais concrétisées…

J’en ai conclu qu’au lieu d’additionner les promesses, le Congo devait d’abord compter sur ses propres ressources, les ressources naturelles mais surtout humaines…
Parfois je pense à 2010, lorsque nous célébrerons le 50e anniversaire de l’indépendance et je me demande ce que nous pourrons montrer à cette population.

J’espère qu’à cette date, on sera en plein chantier partout dans le pays, qu’il y aura des travaux partout… Le redressement de ce pays, c’est un très grand défi, les priorités sont partout, tout est à refaire et nos partenaires doivent aussi apprécier les efforts, les sacrifices consentis depuis six, sept ans.

Les défis de la reconstruction . . . ; « Ma lenteur ? Il faut être sage »

C. B : Par rapport à votre accession au pouvoir en 2001, quels sont vos principaux sujets de fierté ?

J. Kabila : Le premier, c’est certainement d’avoir réunifié le pays. A l’époque beaucoup considéraient le Congo comme une autre Somalie, les optimistes n’étaient pas nombreux mais on a prouvé à tout le monde que les Congolais formaient un peuple uni. Le deuxième point, c’est le succès de la transition. Beaucoup avant nous avaient échoué. Nous, après trois ans, nous avons organisé les élections, qui ont été reconnues comme démocratiques et transparentes. Certes, il y a eu des couacs comme la guerre menée ici à Kinshasa avec la milice du sénateur Bemba mais tout cela est aujourd’hui dépassé, ce qui compte c’est la reconstruction.

C. B : Vous êtes à mi-parcours de votre mandat, mais la population, elle , n’a pas encore reçu de bénéfices sur le plan social…

J. Kabila : Je suis tout à fait d’accord, il est vrai que je ne suis pas un magicien. Je considère la construction de mon pays comme celle d’un grand immeuble : il faut commencer par les études de faisabilité, puis jeter les fondations avant de commencer les murs. Pour le moment, on est en train de terminer les fondations et d’ici juin on va commencer à construire les murs. Les gens seront alors rassurés car ils verront le démarrage sur le terrain. La situation sociale chez nous subit aussi les conséquences de la récession économique mondiale, il ne faut pas l’oublier.

C. B : En cette période charnière, ne redoutez-vous pas que certains soient encore tentés par la déstabilisation ?

J. Kabila : Si, et ils sont nombreux, ceux qui sont jaloux, qui ne nous veulent pas du bien, on ne peut que demander à la population d’être vigilante, très vigilante. Je suis peut-être en danger, il y a beaucoup de menaces, mais que faire ? Il faut assumer, avancer, je n’ai pas le choix.

C. B : Il y a encore beaucoup de corruption dans ce pays, de mauvaise gestion ? Que faites-vous pour y remédier, c’est un gros obstacle au développement.

J. Kabila : Tout à fait d’accord, c’est un très gros problème, qui me préoccupe beaucoup. Mais dans un Etat de droit, vous devez avoir des preuves pour arrêter, mettre hors d’état de nuire. C’est pourquoi en février, j’avais entamé la réforme de la justice, avec pour objectif de la rendre plus efficace afin qu’elle puisse s’occuper des cas de corruption. Certes, je pourrais chasser moi-même ceux que l’on me présente comme corrompus, mais ce serait l’arbitraire.

Je crois qu’avec une vraie réforme de la justice, le Congo pourrait répondre à Thomas Sankara qui voulait faire du Congo le pays des hommes intègres. C’est cela mon rêve, mais ce changement de mentalité prend beaucoup de temps, et je reconnais que là, j’avais sous estimé la difficulté. Sur ce plan, je reconnais qu’on n’a pas encore vraiment réussi. On balaie d’un côté, il faut recommencer de l’autre. Les Américains vont nous aider à travailler sur ce plan…

C. B : On vous reproche souvent d’être lent à réagir, de ne pas sanctionner des gens qui se réclament de vous…

J. Kabila : Il y a parfois des cas que j’ignore, parfois aussi les enquêtes sont en cours. Ce que je dis, c’est que si vous avez une liste avec des preuves incriminant des membres du gouvernement, de l’entourage du président ou du président lui-même, il faut me donner ces preuves, je prendrai des mesures. Mais je suis un homme juste, je n’aime pas l’arbitraire et je trouve que c’est à la justice de faire son travail.

Quant à ma lenteur, je crois qu’il faut surtout être sage. Ne pas prendre de décision trop vite, au risque de tout casser. Il faut être d’autant plus sage que le Congo est un grand pays. Les provinces grognent car elles n’ont pas encore reçu les 40 % des recettes qui leur sont promises par la Constitution. Pour cela il faut que soit votée la loi sur la décentralisation, ce qui va se faire bientôt et à ce moment les provinces verront leurs recettes augmenter, mais aussi leurs obligations, ainsi que les contrôles sur ce que les gouvernements provinciaux devront faire avec cet argent, payer les professionnels de la santé, les enseignants.

C. B : Quelle est votre analyse des derniers évènements dans le Bas-Congo ?

J. Kabila : Ce qui s’est passé dans le Bas-Congo n’était pas une simple manifestation de mécontentement, il s’agissait d’une rébellion en gestation, d’une révolte contre les institutions établies. Il y avait un grand projet de déstabilisation qui a été déjoué et il a fallu sévir avec rigueur. Dans l’est du pays, nous allons veiller à mettre fin à l’impunité concernant les violences sexuelles, mais ces dernières sont souvent liées aux conflits armés.- (Fin de texte).- retranscript minaffeci/25 avril 2008
* le texte et l'interview ci-haut repris est tiré du site du quotidien Le Soir de Belgique http://www.lesoir.be/ le titre est une initiative du serice de communication du minaffeci *

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